Le TGV Côte d’Azur l’avait déposé dans un de ses joyaux après l’avoir promené sur l’écrin de sa côte. Les yeux emplis de la mer Méditerranée pour le prix d’une pacotille, il débarqua à la gare de Cannes, salua les palmiers qui ne sauraient manquer et goûta le plaisir de marcher en direction de la Croisette en plein hiver. Qui n’habite pas au bord de la mer ne va pas à la plage lorsqu’elle n’est pas un tremplin vers la baignade estivale. Pourtant, lorsque le ciel est bleu, le sable et l’eau ont les mêmes couleurs marrons et bleus de l’invitation. Seuls les vêtements des passants et leur bienvenue rareté sont l’indication de la saison.
Simon s’assit sur un muret qui séparait la promenade de la plage et observa longtemps la mer, comme une première étape méditative de sa semaine de retraite. Il privait souvent ce dernier mot de sa voyelle finale, sans hommage aucun pour Georges Pérec dont La disparition avait, dans sa bibliothèque, une constante absence, le meilleur hommage à son titre et à cette expérimentation de l’Oulipo et du Nouveau roman dans leur combat contre la littérature. Ce moment avec lui-même, dans la solitude de la mi-journée, était l’issue de retraits successifs : celui de sa vie antérieure avec son extraordinaire don musical, du brouhaha de l’incommunication humaine avec son soudain mutisme et de la répétition écrasante de longues années de travail avec son départ définitif. Sa vie était si bouleversée que son rapport au temps gisait sur cette plage sur laquelle ses yeux se posaient. Il était statique et son bon-vouloir en était désormais le maître. Il n’avait plus d’engagement, dans tous les cas aucun qu’il n’eût pas choisi. Il pouvait passer le temps qu’il voulait là où il le souhaitait. Sa montre n’était plus le métronome de son existence et son téléphone portable était enfoui dans sa petite valise à l’égal de n’importe quel volume qui s’y trouvait. Il savourait ce second bonheur qui avait fait irruption dans sa vie avec l’éclat initial de la catastrophe. Quel luxe que disposer de tout son temps à quarante-cinq ans ! Les mots sont là qui n’attendent qu’un regard pour délivrer leurs clés : aussitôt la retraite entamée, il en entreprenait une autre, quittant le travail pour la spiritualité, l’agitation pour la quiétude, la matière pour l’esprit.
Le piano Manuscrit en cours d’écriture
Photo : ©Giovanna Boisson, 2018