Le piano, Manuscrit p. 57
Simon, décidément épris de l’image du majordome en livrée l’accueillant sur le perron, fut déçu de devoir monter seul les marches du château, même si la compagnie de Judith était loin d’être désagréable. Un joyeux tintamarre les attendait pour tout protocole. Il n’était pas 18h et déjà les convives emplissaient les lieux et vidaient des verres. Ils entrèrent par une porte-fenêtre restée ouverte dans ce qui semblait être un des salons principaux. Un sexagénaire souriant, vêtu d’un pantalon rouge et au doigté que Simon perçut aussitôt comme autoritaire, porta un toast en leur honneur dès qu’un serveur empressé leur eut calé des coupes entre les mains. Il fut saisi de l’effroi de l’élève musicien devant un chef d’orchestre vétéran et cassant et n’eut pas de mal à identifier leur hôte parisien à son accoutrement et à son assurance.
– Il bat la cadence en parlant, chuchota Simon à sa voisine. Il est musicien ?
– Non, lui répondit-elle, mais il aurait bien aimé, tu vas le voir.
Une poignée de main vigoureuse les interrompit. Un musicien professionnel aurait aussitôt protesté. Simon perçut l’anomalie dans les yeux de Judith.
– Il est heureux que je n’aie pas besoin de mes doigts ce soir, asséna-t-il, se disant qu’on pouvait ne rien connaître à la musique mais bien maîtriser la langue française.
– Détrompez-vous, cher ami, répondit le Parisien déjà honni par son invité, s’éloignant aussitôt à la rapidité d’un ministre en exercice d’apparat, suivi par une nuée de verres brandis par des pique-assiettes.