Il est mort Jim
« A Lima, je devins professeur d’histoire. On me disait assez populaire auprès des étudiants et quelque peu atypique pour les canons de la Pontífica Universidad del Perú, la PUC. J’avais choisi, auparavant, pour mon doctorat, de travailler sur le Sentier Lumineux. On était à la fin des années 1980 et c’était un fait d’actualité. Le mouvement maoïste, dirigé par l’énigmatique professeur Abimael Guzmán, le camarade Gonzalo, ensanglantait le Pérou. Les habitants de Lima vivaient au rythme des annonces d’attentats et des nouvelles de massacres dans les zones reculées du pays. La ville interdisait la circulation dès une heure du matin et jusqu’à l’aube. Invariablement, le couvre-feu amenait les patrouilles militaires. Au détour d’une rue, au milieu des places, les piétons attardés tombaient nez à nez avec des tanks et des militaires peu engageants, menaçants avant l’heure et dangereux ensuite. Les sentiéristes étaient si infiltrés dans la ville qu’ils parvenaient à la plonger dans l’obscurité quand bon leur semblait. Aux alentours de Lima, sur les collines désertiques, de grands feux s’embrasaient soudain, dessinant le marteau et la faucille. Les chauffeurs de taxi récalcitrants aux couvre-feux qu’ils décrétaient dans leur bras de fer avec l’état péruvien étaient sauvagement assassinés. Tout avait commencé à Lima de sinistre et de bizarre façon. Un matin de brume, la population s’était retrouvée nez à nez avec des cadavres de centaines de chiens. Ces bêtes errantes avaient été pendues aux poteaux électriques et leurs corps se balançaient avec des pancartes qui annonçaient la lutte armée et la mort aux traîtres. »
Marc Boisson, Il est mort Jim, Ezema, 2e édition, p. 7