Blog de l’auteur

Ça n’intéresse personne – extrait

mai 2022 | Le piano

Ça n’intéresse personne

L’affluence dans les églises m’avait étonné dès mon arrivée à Mexico. Il n’y avait donc pas moyen de s’y retrouver seul ! En France, je choisissais des horaires sans messe et je n’avais que l’embarras du choix. Je m’arrangeais même pour y être souvent seul à des heures improbables, au moment où le soleil emplissait les choeurs et le déjeuner les estomacs, un peu avant que les serrures oxydées ne closent les battants de chêne. Pourquoi aimais-je les églises ? J’y étais dans les traces de l’histoire, je m’y échappais du bruit et de l’agitation de mes congénères. Peut-être que je m’y vengeais des messes que j’avais dû ingurgiter dans ma jeunesse. J’étais entré confiant dans les édifices coloniaux, m’attendant à voir une nef aussi vide que leurs murs. Qui connaît l’art baroque religieux en Amérique latine aura remarqué que certaines églises brillent par l’or de leur retable vers lequel nous conduisent des travées agrémentées de rares tableaux et ornements. Le reste du décor est constitué des fidèles qui sont bien loin de manquer. Je tentai des horaires différents, mais la foule ne cédait la place qu’à l’affluence, jusqu’à ce que je constate au tableau des horaires de messe qu’elles égrenaient la journée à la manière de ses heures. Amoureux de la langue espagnole, je tentai de vivre l’expérience de l’oraison sacerdotale comme une poésie des mots. Rien à faire. Ils me plongeaient dans la même torpeur indigeste que leur version française.

Marc Boisson, Ça n’intéresse personne, P. 3, 4 – 2022