Un concert qui fait du bruit ?
Vous ne connaissez pas Simon Brocas ? Retenez bien ce nom.
Personne n’en avait jamais entendu parler dans le monde très fermé de la musique jusqu’à ce 12 avril à l’Auditorium Saint-Germain du Conservatoire de Poitiers. Il a pourtant défrayé la chronique de l’édition 2022 du festival Prima La Música. Simon Brocas est un pianiste d’une maîtrise que l’on nous dit hors du commun. Mardi dernier, son récital a comblé les connaisseurs qui s’étaient mêlés à un public par ailleurs très parsemé. Il est plus que probable que les salles se remplissent à ses prochains concerts, si le mystérieux interprète accepte de se produire de nouveau.
Il est légitime de se demander comment un pianiste qualifié d’un tel talent a pu passer inaperçu jusqu’à une cinquantaine bien sonnée. Un pianiste, qui plus est, habitant dans la Vienne depuis de nombreuses années. Ne cherchez plus. Dès la fin de sa première interprétation mardi dernier, Simon Brocas a révélé son secret. Il n’avait jamais touché à un piano jusqu’à une certaine journée du mois d’août dernier.
Simon Brocas, pouvez-vous vous présenter ?
Je commencerai par dire que j’ai 59 ans. Je crois que c’est en général ainsi qu’on se présente dans notre pays. Je suis marié, vis dans un petit village des environs de Poitiers depuis une vingtaine d’années. J’ai un métier, un jardin et une bicyclette. En somme, je suis sans doute un homme normal, pour ne pas dire banal.
Nos lecteurs ne seront pas insensibles à votre humour. Vous omettez de dire que vous êtes également pianiste.
Je ne sais pas si je dois m’autoriser à le dire. Je n’étais pas pianiste il y a à peine 9 mois… Et pour tout vous dire, je ne connais rien à la musique.
Vous étiez pourtant au programme du festival 2021-2022 de Prima La música. Et à l’Auditorium Saint Germain, ce 12 avril, il y avait bien un pianiste derrière le piano. C’était incontestablement vous, et l’auditoire ne se souvient pas d’un interprète incompétent, bien loin de là.
Je vous remercie. Je crois en effet que mes mains se sont bien accordées avec le piano.
Simon Brocas, vous nous dites que vous êtes un homme normal, et même banal. Ce qui vous est apparemment arrivé ne l’est toutefois pas du tout. Pouvez-nous nous dire ce que vous avez déclaré à l’Auditorium Saint Germain, à la fin du premier morceau de votre récital ?
J’y consens puisque vous me le demandez. Je décline toutefois toute responsabilité dans l’hypothèse où on lirait ses lignes à l’hôpital psychiatrique le plus proche, d’où on m’enverrait une ambulance et de solides infirmiers pour un internement d’office. J’ai cru bon de dévoiler ce qui vient pendant mon concert car le fait que je sorte de nulle part m’a paru une position intenable devant ce parterre, même clairsemé, de mélomanes. J’espère, malgré tout, qu’on retiendra aussi le caractère musical de ma présentation.
Elle a été largement appréciée, au vu de ce qui nous a été rapporté.
Mon histoire est simple et incompréhensible à la fois. Tout a débuté à Paris, à la gare Montparnasse. J’y suis passé en août de l’année dernière et me suis assis au piano qui s’y trouve. Il n’y avait personne. Je crois que je voulais éprouver la sensation que ressent une personne qui sait en jouer et qui s’y assied. Et je ne peux pas vous le dire autrement : mes mains se sont mis à jouer une musique en sourdine sans que j’y prenne garde. Ma volonté était tellement peu en cause que j’ai d’abord cherché autour de moi d’où venait la mélodie. Lorsque je me suis penché vers le clavier, j’ai constaté que j’en étais l’interprète. Et depuis je sais jouer du piano. Les professeurs du Conservatoire de Poitiers ont eu la gentillesse de me dire que je le faisais bien et m’ont fait l’honneur de m’inviter à leur programme de Prima La Música.
Vous n’avez vraiment jamais appris le piano ?
Je suis contraint de vous assurer que non. Je suis maintenant capable de reproduire un morceau, dont je ne connais pas l’auteur et à la première écoute de la mélodie. Et j’ai pu lire et jouer, jusqu’à maintenant, toutes les partitions que j’ai eues devant les yeux.
Et vous n’avez aucune explication à ce prodigieux phénomène ?
Et bien non, aucune. D’après mes recherches, c’est arrivé à quelques autres personnes, suite à un traumatisme qui a affecté leur cerveau. Je n’en ai eu aucun, sauf si justement je souffre d’amnésie depuis. Mais, de ma propre initiative, je me suis soumis à un examen neurologique plus que complet et il n’a rien décelé.
Le mystère reste entier. L’auteur de cet article a retrouvé lui-aussi le récit de personnes qui, suite à un accident, ont développé des talents inattendus. Simon Brocas nous a déclaré qu’il aimerait mieux être connu pour sa musique. Nous invitons nos lecteurs à juger de sa qualité à l’occasion de ses futures présentations publiques.
De notre correspondant Grand Ouest – Samuel Lenterre – Groupe Ezema 15 avril 2022