Une composition de Bach accompagne Simon Brocas tout au long du roman, le Prélude et fugue BWV 855. Il la joue pour la première fois chez lui.
« Ses doigts débutèrent lentement, ainsi que la composition le demandait, revinrent sur eux-mêmes, partirent en ligne droite, firent battre le contrepoint d’une main l’autre, dont le morceau ne se départirait plus, un rythme de fond qui lui offre son ossature et sa confiance pour exprimer sa liberté. Les notes s’accélèrent ensuite comme pour chuter mais demeurent toujours debout, vives, parfaites. Il joua encore et encore les deux minutes de cette offrande que Bach a faite à la plénitude sans présager de sa postérité. » P. 8 Le piano
Un des rares autocars diffusant de la musique baroque arriva à bon port à Mirecourt. La sexagénaire rayonnante, qui prétendait diriger la petite troupe comme son agence, les conduisit à l’hôtel puis en visites. Il faut préciser que cette petite ville des Vosges, inconnue du commun des mortels, est un haut lieu de fabrication d’instruments. L’alignement des violoncelles dans un atelier saisit l’œil de Simon tandis que le luthier partageait la passion de son métier. « Depuis quatre siècles, Mirecourt est le lieu de la fabrication des archets et des instruments à corde.
Il y avait une vingtaine de personnes dans le bus Pullman.
La grappe qui s’était formée à la montée et les têtes plus ou moins ébouriffées, que Simon distinguait dans ce que les hauts dossiers laissaient entrevoir, militaient pour ce chiffre. Il apprit bientôt, de leurs propres mots, qu’hormis la directrice de l’agence de voyages, une sexagénaire rayonnante, deux musiciens étaient du voyage. Un garçon myope au long visage, qui oubliait souvent de sourire contrairement à son collègue de travail, un retraité qui semblait parfaitement à son aise en villégiature. Ils répondaient, enfin le premier pas toujours, aux prénoms de Rémi et François.
Le piano, Manuscrit, p. 97
🎶 Simon Brocas repensait à sa rencontre américaine sur l’autoroute qui l’amenait en Allemagne. Pauline Rivau l’avait très fortement encouragé à faire le voyage de Leipzig. Faute de pouvoir croiser Dieu, il pouvait partir sur les terres de Bach. Les passagers s’éveillèrent aux notes du Clavier bien tempéré. La chaleur un peu moite du bus et le ronronnement du moteur les avaient replongés dans le sommeil trop tôt interrompu par le départ matinal de Poitiers. L’annonce des premières lumières du jour a souvent cet effet d’endormissement sur les voyageurs. Les notes s’élevaient discrètement à l’unisson des premiers rayons de soleil.
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Le piano, Manuscrit, p. 97
Extrait de mon manuscrit en cours
Le soleil qui inondait la pièce à mon réveil s’était rafraichi de nuages qui jouaient à cache-cache avec mon piano. Je posai une boisson mentholée gazeuse sur le haut de l’instrument et adressai mes doigts désormais confiants à la nacre des touches. Je n’avais pas hésité pour l’entrée en concert. J’entamai les notes de la partition du prélude et fugue BWV 855 du clavier bien tempéré. Mon regard s’en éloigna bientôt, sans que je m’en rendisse compte, pour plonger dans le va-et-vient de la mélodie que mes doigts expiraient comme s’ils l’avaient toujours connue. Ils débutèrent lentement, comme la composition le demandait, revinrent sur eux-mêmes, partirent en ligne droite, firent battre le contrepoint d’une main l’autre, dont le morceau ne se départirait plus, un rythme de fond qui lui offre son ossature et sa confiance pour exprimer sa liberté. Les notes s’accélèrent ensuite comme si elles allaient chuter mais demeurent toujours debout, vives, parfaites. Je jouai encore et encore les deux minutes de cette offrande que Bach a faite à la plénitude sans présager de sa postérité.
Je ne me lasse pas du dialogue entre les deux mains dans ce morceau de Bach et cette interprétation.
On parle bien de « contrepoint » ?
Víkingur Ólafsson – Bach: Prelude et Fugue in mi mineur, BWV 855
Il explique : « C’est pour cela que le but ultime et le propos final de toute musique est de louer Dieu et la récréation de l’âme. Si l’on ne prend pas cela en compte, il n’y a donc pas de vraie musique mais plutôt un vacarme et un bourdonnement diaboliques ». Derrière ces généralisations on trouve la supposition, si ce n’est pas à proprement une affirmation, que sa musique, dédiée à « honorer Dieu », devait donner lieu au « délice permis de l’âme » de ses musiciens comme de ses auditeurs, comme si, comme le suggère Butt, « il y avait une connexion mécanique entre une intention de composition religieuse et un effet profane, terrestre ». C’était une autre manière, dont s’est prévalue Bach, d’affirmer l’unité des natures physiques et spirituelles [ …]
John Eliot Gardiner, La música en el castillo del cielo, Acantilado 2005 Traduction MB
