Nous décidâmes que l’émission s’appellerait Le quart d’heure psychanalytique du docteur Pip. Les mots nous paraissaient retentir d’une belle évidence. Ils n’avaient qu’un seul inconvénient : ils contraignaient à une très courte durée, qui correspondait mal au projet initial. Nous ne relevâmes pas. Les cours du lundi furent sacrifiés, comme d’habitude, mais à autre chose qu’à l’habituelle prolongation du week-end. Nous passâmes directement du porche au bar-cave de la faculté. Une large partie de la journée fut consacrée à griffonner des synopsis de projets ou plutôt des projets de synopsis.
Comme l’avait annoncé la jeune fille, le créneau radial nous fut accordé sans problème. Les bénévoles ne se précipitaient pas à Radio Pip. Il faut dire que Bernard n’avait pas tout à fait tort quant au faible niveau professionnel des radios libres. Elles tenaient toutes leurs promesses en ce qui concerne le qualificatif. Chacun était libre d’y faire de la qualité mais personne n’y était contraint.
Par un matin frais du mois d’avril, vers cinq heures, je sortis de Tamatave. Dès le début, les lacets de la jolie route goudronnée m’amusèrent. La Honda adhérait parfaitement à la chaussée et les sacoches bourrées d’habits et de matériel de toute sorte, amarrées au porte-bagage soudé la veille, ne me ralentissaient pas. Le soleil et bientôt la mer, au détour d’un virage, confortèrent mon optimisme. A Mahambo, station balnéaire de fortune, je m’arrêtai pour piquer une tête et boire un robusta.
La scène se passe à Tellac. Le suffixe a un goût de sud-ouest. Je suis installé près d’une église décatie, d’où on peut voir les champs boueux attendant les cultures. Ma vieille maison aux lourdes pierres contraste, et c’est heureux, avec mes activités virtuelles dans la ville voisine, auto-dénommée mégalopole technologique. J’ai un travail qui correspond à mes prétentions créatives : j’enregistre des milliers de voix pour un éditeur spécialisé dans l’enseignement des langues. Ca ne me donne pas de visibilité mais, au fond des studios, oublié, je satisfais un goût ancien pour le son sans l’image. La radio fait partie de ma vie, pas la télévision.
Mon village est petit et démodé.
Un extrait inédit de la première édition de Vox Latina – P. 237, éditions Le Manuscrit, 2002, qui ne fait pas partie de la seconde édition qui vous est proposée dans la rubrique Vox Latina en lecture libre.
Utrecht, 1619
Une pièce sombre, une petite fenêtre en bois grossier. Des bruits de bois sur le pavé.
On cogne à la porte. Un homme petit, chaussé de sabots, au pantalon de jute rapiécé et à l’air obséquieux, entre :
« Maître Taermelïn, j’ai votre huile. Il vous en a coûté 5 golden. »
Jakob Taermelïn saisit la fiole, amorce un geste suspicieux vers la monnaie que lui tend son domestique, puis renonce à le réprimander.
« Laisse-moi seul Jan. »
Il est près de cinq heures. Le soir tombe. L’étroitesse de la ruelle et la lucarne de l’échoppe augmentent la sensation d’obscurité. Il n’est pas question d’allumer plusieurs bougies. L’achat des ingrédients pour les couleurs coûte cher. Et que dire des toiles !
La lumière vacillante projette des ombres dans la pièce. Il va bientôt devoir s’arrêter de peindre. Ce n’est pas grave, observer les contours que dessinent les reflets de la bougie le berce agréablement. Et puis, il a besoin de réfléchir. Comment représenter une apparition ?
L’écran vire au noir. Personne ne se lève. Je ne sais pas par quel moyen on parvient à saisir les sentiments d’un groupe. Mais je n’ai pas de doute. Le silence était admiratif. Une salve d’applaudissements le confirme. C’est poussé par Colette que Jim s’ébranle du fauteuil d’à côté. Il se retourne et salue. Tous se lèvent et l’intensité de l’hommage augmente encore. Je n’ai envie de parler avec personne. Les images resteront des images… Je me lève enfin et lorsque je parviens à la sortie de la salle vide, j’entends Jim crier : « Ça par exemple ! Si je m’attendais. »
Extrait de Vox Latina
Paroles d’invités – Sao Paulo Samedi 17 octobre
Merci à l’Association des professeurs de français de l’état de Sao Paulo pour cette invitation à parler de mes livres et à échanger avec un public si agréable. Et retrouver des amis n’est pas le moindre des plaisirs.
Je fais la supposition que nombre d’entre nous pensent au M. Jourdain de Molière, qui faisait de la prose sans le savoir, lorsqu’ils agissent à leur insu. Voilà que je faisais sur ce site de la multimodalité sans le savoir.
Je suis très fier que des chercheurs aient inclus mon expérience dans leurs travaux. Très heureux d’avoir été invité à la grande université mexicaine qu’est l’Unam pour un long témoignage. Très touché aujourd’hui par l’article signé par Maria Lucia Claro Cristovão, professeure à l’Université Fédérale de São Paulo – Unifesp.
Il paraîtra dans la revue Synergies dans quelques semaines sous le titre « Lectures littéraires multimodales en classe de français langue étrangère ».
En voici quelques extraits :
[…]Avec la mise en ligne de ses romans Il est mort Jim et Vox Latina, l’écrivain français Marc Boisson potentialise les possibilités de lecture d’un texte littéraire qui était déjà fort, original et pluriel dans sa version imprimée. Insérée dans un environnement virtuel marqué par la multimodalité […] et construit par l’écrivain lui-même, la publication numérique de ces romans ouvre de nouvelles possibilités pour la didactique de la lecture littéraire multimodale en cours de FLE. […].Depuis 2014, l’écrivain français Marc Boisson met à la disposition de ses lecteurs la version intégrale de deux de ses romans : Il est mort, Jim (2014), publié sur son site Internet et Vox Latina (2002), publié sur la page facebook dédiée à l’ouvrage. L’auteur a ainsi transposé la version imprimée de ces deux romans sur un espace numérique marqué par la « multimodalité ». Ce concept de multimodalité a été redéfini et développé par les chercheurs G. Kress et T. Van Leeuwen (2001, 2006) à partir des travaux de M. K. Halliday (1978) et fait référence à la présence dans un texte de différents modes sémiotiques (langue écrite, langue orale, images fixes et mobiles, sonorités, musique…) qui interagissent dans la construction du sens. […] Avant d’analyser comment la construction du sens du texte littéraire se retrouve transformée par l’environnement multimodal créé par l’auteur, nous allons tout d’abord nous pencher sur les caractéristiques stylistiques de ces deux romans dans leur version imprimée et donc monomodale, c’est-à-dire, constituée d’un seul mode sémiotique – dans ce cas, le texte écrit. Plusieurs raisons nous ont menés à choisir ces deux romans pour travailler le texte littéraire en classe de FLE à partir d’une approche subjective. En voici quelques-unes : un auteur qui crée des « espaces » dans son texte, qui laisse des espaces à compléter, qui évite l’évident, qui surprend constamment le lecteur ; un texte littéraire pluriel et multifacette ; un texte qui incite à l’interprétation, qui sollicite l’intervention et la participation du lecteur pour la construction du sens. Il y a dans les romans la présence de ces « tensions » nécessaires (GERVAIS, 2006) pour rendre possible le passage à un degré plus approfondi et plus enrichissant de lecture. Autrement dit, nous disposons de tous les éléments nécessaires pour passer du niveau de compréhension à celui de l’interprétation ; un procédé de narration original et surprenant, avec une alternance des plans d’énonciation et un recours fréquent au discours indirect libre ; un récit également pluriel dont l’ordre n’est pas chronologique ; des effets de surprise, l’inattendu dans le fond et dans la forme, de l’humour. Il s’agit par conséquent de textes littéraires qui incitent le lecteur à créer des images mentales non seulement à partir de l’univers proposé et décrit dans l’œuvre mais aussi à partir des « espaces » à compléter qui sont créés par l’auteur. Ces deux romans de Marc Boisson favorisent ainsi le développement de plusieurs activités fictionnalisantes (LANGLADE) chez le lecteur-sujet, notamment la « concrétisation imageante » dont parle Paul Ricoeur.[…] Dans la publication multimodale des romans Vox Latina et Il est mort Jim, l’image n’épuise ni ne se substitue à la construction visuelle du lecteur, aux concrétisations imageantes (RICOEUR, 1984). Au contraire, elle incite le lecteur à de nouvelles créations, constructions, associations. L’image peut souvent surprendre, elle n’est pas simplement illustrative. Elle crée aussi des espaces à compléter.
Revue Synergies Brésil nº13 (à paraître)
La double vie de Véronique me trotte dans la tête cette semaine.
Il est des films qui nous accompagneront dès que nous les aurons vus. Mon premier roman, Vox Latina, est né de l’un de ceux-là.
Sur la place de Cracovie, depuis le virage de son bus, une jeune fille voit sa soeur, son alter-ego, au regard aussi étonné que le sien. Lorsque la Véronique polonaise meurt, la Française est brisée comme la poupée qui va la représenter.
Weronika meurt sur scène, au sommet de son art et de sa voix, comme Krzysztof Kieślowski, le réalisateur, mourra peu après La double vie de Véronique, également victime de son coeur…