Encore Lima ?!!

– Pas de problème, jamais je ne laisserais Lima pour une autre ville.
– C’est marrant. Je n’ai jamais entendu dire que c’était une belle ville.
– Et bien, que ceux qui ne l’aiment pas la laissent à ceux qui l’apprécient.
– Qu’est-ce que tu aimes à Lima ? demanda Valentine.
– Tout, en fait.

Marc Boisson, Il est mort Jim, Ezema, 2e édition, p. 65, 66

 

 

 

 

 


Photo : Lucia Claro, 2018

Lima encore

J’étais déjà passé plusieurs fois devant le couvent Santo Domingo. En retrait de la place d’Armes, avec ses murs roses-ocres salis par la pollution, le bâtiment n’avait jamais attiré mon attention. Je préférais amener les touristes qui me rendaient visite devant le Palais présidentiel au moment du changement de la garde ou marcher un peu plus loin dans la rue Junín pour qu’ils admirent les vieux balcons coloniaux. Lorsque je franchis le porche, je fus saisi par cette odeur caractéristique des églises coloniales liméniennes : l’encens mêlé à la pierre froide.

Il est mort Jim

Lima, toujours

J’aimais, je l’ai dit, parcourir l’enfilade de parcs du Malecón et
Lis-Angela déguster un milk-shake de lúcuma au Mangos, une cafétéria qui
avait une terrasse au bord des falaises. Il n’aurait pas été opportun de s’y
trouver un jour de tremblement de terre.

Il est mort Jim

Cher Pérou

Cela m’amusait qu’Eduardo Pastor habite dans une rue au nom militaire. Ce fut d’ailleurs la première chose que je lui dis. Je savais que je devais faire attention avec l’humour républicain français et que les Sud-Américains goutaient peu l’ironie à l’endroit de l’armée ou du clergé. Mais il ne fallait pas non plus aller complètement contre sa nature. Je demandai donc à Eduardo, en guise de salut, s’il avait acheté sa maison en fonction du nom de la rue. Il ne releva pas ou plutôt ne comprit pas l’association avec son ancien métier. Il était tout occupé à sa jovialité hospitalière et à présenter son cher Pérou.

Marc Boisson, Il est mort Jim, Ezema, 2e édition, p. 37

De l’histoire du titre de Il est mort Jim

Une histoire vraie


Les deux phénomènes les plus étranges que j’ai vécus avec ce livre concernent son titre et sa fin, plus très lointaine désormais. Au fur et à mesure que j’en écrivais les cent premières pages, la réflexion sur son titre m’accompagnait. Je l’avais constamment à l’esprit mais ne me forçais pas à une conclusion rapide, tant il est difficile de qualifier un récit avant de savoir ce qu’il sera vraiment. Je tournais autour du prénom de mon protagoniste avec « Jim n’y résistera pas » ou même « La mort de Jim ». Mon ordinateur m’apporta la réponse. Je travaillais en toute tranquillité, sans doute à la rédaction du livre, lorsque mon écran s’éteignit, devint bleuté. Aucun signe ne m’avait préparé à cette panne. Je ne m’en étonnai pas complètement toutefois car l’outil informatique est coutumier de dysfonctionnements qui échappent aux prévisions et compétences de la plupart d’entre nous. Quelle ne fut pas ma surprise de voir s’afficher au milieu de mon écran : « Il est mort, Jim ».

Il est mort Jim – extrait

L’invitation arriva par courrier glissé sous sa porte, à la manière liménienne. Ma tante Valentine d’Ouro Preto me conviait au lancement du livre A paixão de Tiradentes, celui qu’elle avait écrit avec son étudiant Enrique. C’était un joli document avec le titre du roman entre une photo de Paris et une autre d’Ouro Preto. Le lancement aurait lieu à la librairie de la ville brésilienne que j’avais fréquentée lors de mon précédent séjour. Dans deux semaines un samedi matin. J’aurais bien voulu y être, pas tellement pour l’événement, plutôt pour la ville. Mais c’était trop loin, trop cher et je manquais de temps. J’écrirais un message de sympathie à ma tante. L’idée d’un voyage à Ouro Preto ne me quitta pas de la semaine, dont je passai une grande partie à la surveillance des examens de fin d’année à la PUC. La date du 15 décembre n’était-elle pas finalement propice à un changement d’emploi du temps ?

Il est mort Jim – extrait

Il est mort Jim

A Lima, je devins professeur d’histoire. On me disait assez populaire auprès des étudiants et quelque peu atypique pour les canons de la Pontífica Universidad del Perú, la PUC. J’avais choisi, auparavant, pour mon doctorat, de travailler sur le Sentier Lumineux. On était à la fin des années 1980 et c’était un fait d’actualité. Le mouvement maoïste, dirigé par l’énigmatique professeur Abimael Guzmán, le camarade Gonzalo, ensanglantait le Pérou. Les habitants de Lima vivaient au rythme des annonces d’attentats et des nouvelles de massacres dans les zones reculées du pays. La ville interdisait la circulation dès une heure du matin et jusqu’à l’aube. Invariablement, le couvre-feu amenait les patrouilles militaires. Au détour d’une rue, au milieu des places, les piétons attardés tombaient nez à nez avec des tanks et des militaires peu engageants, menaçants avant l’heure et dangereux ensuite.

Il est mort Jim – extrait

Il est mort Jim

Tumbes nous avait gratifié d’une splendide journée pour la conclusion de notre séjour. Nous avons passé la matinée sur la plage, avec un couple de Français qui pratiquaient un tourisme original. Ils s’arrêtaient dans toutes les villes de la côte Pacifique de plus de 40.000 habitants. Je leur ai demandé si c’était un pari, Lis-Angela s’ils avaient de riches mécènes. Ils avaient tout simplement pris une disponibilité de six mois. Lui était employé des impôts et elle, institutrice. Ils avaient atterri à Maracaibo, au Venezuela.

Il est mort Jim – extrait

Il est mort Jim

Nous allâmes chercher notre créanciale à la cathédrale du Puy. Pour être exact, je la ramenai à Napoléon car l’oecuménisme de l’Eglise n’allait pas jusqu’à l’accepter en son sein. Il allait pourtant prouver qu’il était un bon pèlerin et c’était déjà un coeur pur. J’assistai à la messe de 7H avec des gens habillés comme pour l’ascension du Mont-Blanc. Je me demandai s’ils avaient laissé leurs piolets à l’entrée, comme moi mon chien à la maison. L’accumulation de désagréments me conduisit à des pensées négatives. Je n’aimais pas beaucoup les liturgies catholiques et eus un haut-le-coeur en m’imaginant marcher pendant des jours aux côtés de ces anoraks colorés et de ses pantalons en velours. Je souffris plus encore lorsque le prêtre, après la messe trop matinale et la distribution des créanciales, interrogea la foule avec le doigt pointé d’un instituteur.

Il est mort Jim – extrait

Il est mort Jim

Plus je vieillissais, plus j’aimais me promener sur le bord de mer. J’allais régulièrement sur le Malecón Císneros, à Miraflores, où, du haut des falaises, on embrasse l’océan Pacifique. Il faut dire que j’avais, au fil des années, et après un divorce, réussi à acheter un appartement dans le quartier de Miraflores, avenue Pardo, à deux cuadras du malecón et face à l’ambassade du Brésil, pays qui a sa place dans cette histoire.
Un vendredi après-midi de la fin du printemps, j’avais quitté l’université vers midi et étais directement parti me promener. J’avais acheté une empanada dans une boulangerie dont je me contenterais avec une bière cuzqueña. Je dînai frugalement sur un banc du parc du Phare. Ce n’était pas l’habitude des Liméniens mais je réintégrai vite le mode de vie local lorsque j’achetai une glace de lúcuma au vendeur ambulant marchant à côté de son triporteur jaune.