De l’histoire du titre de Il est mort Jim

Une histoire vraie


Les deux phénomènes les plus étranges que j’ai vécus avec ce livre concernent son titre et sa fin, plus très lointaine désormais. Au fur et à mesure que j’en écrivais les cent premières pages, la réflexion sur son titre m’accompagnait. Je l’avais constamment à l’esprit mais ne me forçais pas à une conclusion rapide, tant il est difficile de qualifier un récit avant de savoir ce qu’il sera vraiment. Je tournais autour du prénom de mon protagoniste avec « Jim n’y résistera pas » ou même « La mort de Jim ». Mon ordinateur m’apporta la réponse. Je travaillais en toute tranquillité, sans doute à la rédaction du livre, lorsque mon écran s’éteignit, devint bleuté. Aucun signe ne m’avait préparé à cette panne. Je ne m’en étonnai pas complètement toutefois car l’outil informatique est coutumier de dysfonctionnements qui échappent aux prévisions et compétences de la plupart d’entre nous. Quelle ne fut pas ma surprise de voir s’afficher au milieu de mon écran : « Il est mort, Jim ».

Le piano 🎹

Il y avait une vingtaine de personnes dans le bus Pullman.
La grappe qui s’était formée à la montée et les têtes plus ou moins ébouriffées, que Simon distinguait dans ce que les hauts dossiers laissaient entrevoir, militaient pour ce chiffre. Il apprit bientôt, de leurs propres mots, qu’hormis la directrice de l’agence de voyages, une sexagénaire rayonnante, deux musiciens étaient du voyage. Un garçon myope au long visage, qui oubliait souvent de sourire contrairement à son collègue de travail, un retraité qui semblait parfaitement à son aise en villégiature. Ils répondaient, enfin le premier pas toujours, aux prénoms de Rémi et François.

Le piano, Manuscrit, p. 97

Vox Latina – extrait

Nous décidâmes que l’émission s’appellerait Le quart d’heure psychanalytique du docteur Pip. Les mots nous paraissaient retentir d’une belle évidence. Ils n’avaient qu’un seul inconvénient : ils contraignaient à une très courte durée, qui correspondait mal au projet initial. Nous ne relevâmes pas. Les cours du lundi furent sacrifiés, comme d’habitude, mais à autre chose qu’à l’habituelle prolongation du week-end. Nous passâmes directement du porche au bar-cave de la faculté. Une large partie de la journée fut consacrée à griffonner des synopsis de projets ou plutôt des projets de synopsis.
Comme l’avait annoncé la jeune fille, le créneau radial nous fut accordé sans problème. Les bénévoles ne se précipitaient pas à Radio Pip. Il faut dire que Bernard n’avait pas tout à fait tort quant au faible niveau professionnel des radios libres. Elles tenaient toutes leurs promesses en ce qui concerne le qualificatif. Chacun était libre d’y faire de la qualité mais personne n’y était contraint.

Le piano 🎹

🎶 Simon Brocas repensait à sa rencontre américaine sur l’autoroute qui l’amenait en Allemagne. Pauline Rivau l’avait très fortement encouragé à faire le voyage de Leipzig. Faute de pouvoir croiser Dieu, il pouvait partir sur les terres de Bach. Les passagers s’éveillèrent aux notes du Clavier bien tempéré. La chaleur un peu moite du bus et le ronronnement du moteur les avaient replongés dans le sommeil trop tôt interrompu par le départ matinal de Poitiers. L’annonce des premières lumières du jour a souvent cet effet d’endormissement sur les voyageurs. Les notes s’élevaient discrètement à l’unisson des premiers rayons de soleil.
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Le piano, Manuscrit, p. 97

Le piano 🎹

« La musique est le silence de l’existence.
Une parenthèse sur le quotidien,
une évasion sans attache.
Jusqu’à la fin du morceau qui nous ramène au monde »

 

Le piano 🎹

Ce moment avec lui-même, dans la solitude de la mi-journée, était l’issue de retraits successifs : celui de sa vie
antérieure avec son extraordinaire don musical, du brouhaha de l’incommunication
humaine avec son soudain mutisme et de la répétition écrasante de longues années
de travail avec son départ définitif.

Le piano, Manuscrit, p. 71

Le piano 🎹

Sa nouvelle vie commença à 44 ans à la gare parisienne de Montparnasse. Il sortait d’un habituel TGV du sud-ouest. A l’étage supérieur de la gare, il y a un piano. On les a vus apparaître à Paris il y a une dizaine d’années avant de gagner les halls de province. Il aimait entendre les quelques élus parmi les voyageurs qui pouvaient en jouer. Il regrettait toujours de ne pas en être. A chaque fois qu’il écoutait cet instrument, qu’il assistait à un concert, il s’identifiait à un analphabète à la lecture d’un beau texte. Les personnes qui ne savent pas lire doivent sentir la même impuissance. Pourquoi un tel langage lui était-il inaccessible ? Avec une satisfaction teintée de regret, il écoutait puis s’éloignait des pianos des gares. Ce jour-là, la possibilité de s’asseoir sur le tabouret interdit ne lui apparut plus inconcevable. Comme un voile qui se déchire, il prit place. Il n’y avait personne. C’était cette heure du dimanche où même les trains semblent partis à la messe. Il n’aurait ô grand jamais osé s’approcher d’un piano dans un lieu public en temps normal.

Le piano, Manuscrit, p. 2-3

Ça n’intéresse personne – extrait

Ça n’intéresse personne

L’Airbus 380 d’Air France était à l’heure à l’arrivée à Mexico. J’avais choisi un hublot pourvoir l’aigle blanc s’envoler et se poser. Masse improbable, ailes déployées, il descendait serein et silencieux. Une couleur blanche emplit soudain le ciel. Nous tombâmes. La voix du commandant nous rattrapa. Aussi incroyable que cela pût paraître, nous avions croisé et manqué étreindre un autre avion. Le pilote avait le ton de la « situation bien-en-main », l’Airbus ne tanguait plus, je lui accordai derechef le label sécurité de la compagnie. Voix grave que rien n’altère, à coup sûr des cheveux gris rassurants sous une casquette bien gagnée et également galonnée. Nous étions malgré tout passés près d’un accident aérien. 517 passagers condamnés à hanter l’aéroport de Mexico. Et moi qui devais débuter une nouvelle vie précisément ce jour-là !

Le piano

« Il s’agissait de donner le la à ses doigts, comme s’il commandait les compositions à un interprète qui n’était pas lui-même et qui l’était en même temps, spectateur et acteur d’instants suspendus. »

Marc Boisson, Le piano, p.46